Le 30 août 2023, le bilan consolidé de l'ensemble des banques de la Fed (la Réserve fédérale américaine) indiquait un capital total de 42,72 milliards de dollars. Ce montant aurait pu être négatif sans l'apparition d'un revenu négatif de 87,15 milliards de dollars lié aux 95,12 milliards de dollars de bénéfices à reverser au Trésor américain. Mais il ne faut pas s'y tromper : ce revenu négatif appelé "actif différé" constitue un artifice comptable qui évite à la Fed d'avoir à déclarer un capital total négatif (fonds propres ou valeur nette) dans son bilan.
La Fed explique ainsi cet actif différé :
"Les banques de réserve fédérales transfèrent leurs bénéfices nets résiduels au Trésor américain après avoir pris en compte les dépenses opérationnelles, le paiement des dividendes et le montant nécessaire pour respecter le plafond de l'excédent alloué à chaque banque de réserve fédérale. Les montants positifs représentent l'estimation des paiements hebdomadaires dus au Trésor américain. Les montants négatifs représentent la position cumulative de l'actif différé correspondant à une période durant laquelle les bénéfices ne sont pas suffisants pour couvrir les dépenses opérationnelles, le paiement des dividendes et le maintien de l'excédent. L'actif différé représente le montant des bénéfices nets que les banques de réserve fédérales doivent réaliser avant la reprise des payements au Trésor américain."
Sans cet actif différé, le capital total aurait été négatif, -52,40 milliards de dollars [42,72-95,12], et la Fed se trouverait dans la même situation que la Banque nationale tchèque, qui a eu des fonds propres négatifs pendant la majeure partie des 20 dernières années, de même que les banques centrales de Suède, du Chili, d'Israël, du Mexique et d'Australie, qui ont déclaré des fonds propres négatifs à la fin de l'année 2022.
Que se passerait-il si les banques centrales devaient commercialiser leurs actifs non seulement lorsqu'elles les vendent, mais aussi lorsqu'elles dressent la liste de leurs portefeuilles disponibles à la vente et détenus jusqu'à l'échéance ? Les moins-values sur les titres et les prêts à long terme induits par la hausse des taux d'intérêt après la crise du COVID mettraient la plupart des banques centrales des pays avancés dans le rouge.
Mais pourquoi la Fed ne déclare-t-elle pas simplement un capital négatif ? Il n'y a pas de présomption qu'elle soit insolvable (incapable de remplir ses obligations contractuelles actuelles et futures). Le capital négatif, parfois appelé insolvabilité du bilan, n'implique pas l'insolvabilité totale ou l'insolvabilité de trésorerie (quand l'on ne peut plus payer ses obligations à leur échéance). Tant que la Fed n'a pas de passif net libellé en devises étrangères, elle peut échapper à l'insolvabilité en imprimant de la monnaie, car elle détient le monopole de son émission. Toutefois, le montant de la monétisation nécessaire pour éviter l'insolvabilité peut être incompatible avec son objectif en matière d'inflation.
La solvabilité des banques centrales doit être considérée non pas en terme de bilan classique (qui ne répertorie que les obligations légales et contractuelles en tant qu'actif ou passif), mais en terme de bilan global ou de contrainte budgétaire intertemporelle. Le bilan global ne répertorie pas l'encours de la dette monétaire de la banque centrale en tant que passif, car ce n'est un passif que de nom.
Bien qu'il soit sans aucun doute perçu comme un actif par son détenteur, un montant donné de monnaie émis par la banque centrale n'est qu'une créance sur ce montant auprès de la banque centrale. Il correspond à l'addition d'un actif et de deux passifs. L'actif est la valeur actualisée du seigneuriage net actuel et futur (le montant de monnaie émis par la banque centrale moins les intérêts payés sur le volume de monnaie en circulation émise par la banque centrale). Le principal élément de passif est la valeur actualisée des versements nets courants et futurs au Trésor (propriétaire effectif du Système de réserve fédéral). Le deuxième élément de passif est la valeur actualisée des coûts actuels et futurs de fonctionnement de la banque centrale. Je considère cela comme acquis et je néglige la valeur actualisée des paiements nets hors intérêts au secteur privé ("monnaie hélicoptère", si elle est monétisée).
L'actif différé de la Fed lui permet de fixer une référence (positive) pour un fonds propre classique. Toute perte de revenu ou de capital qui risquerait de faire passer sa valeur nette réelle sous le seuil fixé est neutralisée par une réduction équivalente de la valeur actualisée des paiements de transfert nets de la banque centrale au Trésor. Si les pertes sont suffisamment importantes et persistantes, il pourrait en résulter une séquence de transferts nets négatifs vers le Trésor, voire une valeur actualisée négative de tous les transferts nets courants et futurs.
L'alternative serait d'augmenter le seigneuriage courant et/ou futur, ce qui aurait des implications pour la politique monétaire et la capacité de la Fed à poursuivre son double mandat de recherche du plein emploi et de stabilité des prix. Mais la Fed n'envisage pas cette option.
Ce type de transfert net négatif de la banque centrale au Trésor (lorsque le capital de la banque centrale tombe en dessous d'un certain seuil) fait partie du protocole d'accord entre la Banque d'Angleterre et le Trésor britannique. Mais la recapitalisation ne figure pas dans le cadre législatif et réglementaire entre la Fed et le Trésor américain. La construction de l'actif différé de la Fed suppose qu'elle peut fixer la valeur actualisée des versements nets au Trésor à n'importe quel niveau, négatif ou positif, même si ce n'est manifestement pas la réalité politique aux USA.
Elément positif : même sans recapitalisation de la Fed par le Trésor, les pertes et les niveaux de fonds propres négatifs n'ont pas nécessité jusqu'à présent d'émission monétaire supplémentaire d'une ampleur incompatible avec l'objectif de maîtrise de l'inflation. Les sommes en jeu, environ 95 milliards de dollars, sont dérisoires par rapport à un bilan qui dépasse encore 8000 milliards de dollars.
Il peut néanmoins être intéressant pour les USA de parvenir à un accord de recapitalisation de style britannique entre la Fed et le Trésor. Au cas où les pertes se creuseraient, cela éviterait à la Fed d'avoir à choisir entre insolvabilité et abandon de son objectif en matière d'inflation.
Author: John Morgan
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